Louis Pergaud
La déclaration de guerre
(...)
C'était un matin d'octobre. Un ciel tourmenté de gros nuages gris limitait
l'horizon aux collines prochaines et rendait la campagne mélancolique. Les
pruniers étaient nus, les pommiers étaient jaunes, les feuilles de noyer
tombaient en une sorte de vol plané, large et lent d'abord, qui s'accentuait
d'un seul coup comme un plongeon d'épervier dès que l'angle de chute
devenait moins obtus. L'air était humide et tiède. Des ondes de vent
couraient par intervalles. Le ronflement monotone des batteuses donnait sa
note sourde qui se prolongeait de temps à autre, quand la gerbe était
dévorée, en une plainte lugubre comme un sanglot désespéré d'agonie ou
un vagissement douloureux.
L'été venait de finir et l'automne naissait.
Il pouvait être huit heures du matin.
L'aîné des Gibus, qu'on appelait par contraction Grangibus pour le
distinguer du P'tit Gibus ou Tigibus son cadet, parla ainsi :
- Voilà ! Quand nous sommes arrivés, mon frère et moi, au contour des
Menelots, les Velrans se sont dressés tout d'un coup près de la marnière à
Jean-Baptiste. Ils se sont mis à gueuler comme des veaux, à nous foutre
des pierres et à nous montrer des triques.
Ils nous ont traités de cons, d'andouilles, de voleurs, de cochons, de
pourris, de crevés, de merdeux, de couilles molles, de...
- De couilles molles, reprit Lebrac, le front plissé, et qu'est-ce que tu leur
z'y as redit là-dessus ?
- Là-dessus on « s'a ensauvé », mon frère et moi, puisque nous n'étions pas
en nombre, tandis qu'eusses, ils étaient au moins tienze [Quinze.] et qu'ils
nous auraient sûrement foutu la pile.
- Ils vous ont traités de couilles molles ! scanda le gros Camus, visiblement
choqué, blessé et furieux de cette appellation qui les atteignait tous, car les
deux Gibus, c'était sûr, n'avaient été attaqués et insultés que parce qu'ils
appartenaient à la commune et à l'école de Longeverne.
- Voilà, reprit Grangibus, je vous dis maintenant, moi, que si nous ne
sommes pas des andouilles, des jeanfoutres et des lâches, on leur z'y fera
voir si on en est des couilles molles.
- D'abord, qu'est-ce que c'est t'y que ça, des couilles molles ? fit Tintin.
La Crique réfléchissait.
- Couille molle !... Des couilles, on sait bien ce que c'est, pardine, puisque
tout le monde en a, même le Miraut de Lisée, et qu'elles ressemblent à des
marrons sans bogue, mais couille molle !... couille molle !...
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